Aéroport de Moscou. La bêtise bureaucratique n'a plus de limite dès lors qu'elle s'esthétise dans la mise en scène, qu'elle est élevée à la puissance esthétique d'une rhétorique de la guerre froide. Guerre froide de l'État contre chacun des citoyens, particulièrement odieuse parce qu'artificiellement entretenue. Simulacre de bêtise devenu le seul véhicule de la vie sociale. Toute une société exorbitée dans son masque de puissance militaire, toute une société civile exorcisée dans son masque bureaucratique. Société morte, crispée sur l'apparence de la mort, sur une dernière mise en scène, qu'elle cultive comme un démenti amer de sa propre réalité.
Le seul bénéfice historique de la société soviétique, c'est que certains traits, certaines mœurs de l'espèce humaine se trouveront, comme les mammouths par la glaciation, sauvés et conservés là alors qu'ils auront disparu partout ailleurs.

Cool memories (1980-1985), Jean Baudrillard.
Éditions Galilée, 1987. Page 61.