La première chose qui se présente à l'examen d'un objet est son étendue ou sa quantité. Et pour savoir quelle est en général l'étendue des corps qu'on estime beaux, il suffit de recueillir et d'examiner les manières habituelles d'en parler. J'ai entendu dire que, dans la plupart des langues, on utilise des épithètes diminutives pour désigner l'objet de son amour, et il en va de même dans toutes les langues que je connais. En grec le "ion" et d'autres diminutifs sont presque toujours des termes d'affection et de tendresse. Les Grecs ajoutaient ordinairement ces diminutifs aux noms des personnes avec lesquelles ils s'entretenaient amicalement et familièrement. Bien que les Romains eussent des sentiments moins vifs et moins délicats, il leur arrivait pourtant de glisser naturellement aux mêmes occasions dans des suffixes diminutifs. Anciennement, dans la langue anglaise, on ajoutait le diminutif "ling" aux noms des personnes et des choses qui inspiraient un sentiment d'amour. Nous en conservons encore quelques-uns, comme "darling". Mais aujourd'hui, dans la conversation, il est d'usage d'ajouter le nom caressant de "petit" à tout ce qu'on aime; les Français et les Italiens se servent encore plus fréquemment que nous de ces diminutifs affectueux. Hors de notre propre espèce, c'est vers le petit que notre penchant se déclare dans le règne animal : nous aimons les petits oiseaux et certains des plus petits quadrupèdes. On parle rarement d'une «grande belle chose», alors qu'on dit souvent une «grande chose laide». La différence est considérable entre l'admiration et l'amour. Le sublime qui cause le premier de ces sentiments, s'attache toujours aux objets grands et terribles; le second aux petits et aux agréables; nous nous soumettons à ce que nous admirons, mais nous aimons ce qui se soumet à nous; dans le premier cas nous sommes forcés à la complaisance, dans le second, la flatterie nous y incline. En bref, les idées du sublime et du beau reposent sur des fondements si différents qu'il est difficile, pour ainsi dire impossible, de les concilier dans un même sujet, sans diminuer considérablement leurs effets sur les passions. Ainsi, par rapport à leur quantité, les beaux objets sont relativement petits.
Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, Edmund Burke. Partie III, chapitre XIII. 1757.
Éditions Librairie philosophique J. VRIN, 2009. Traduction par Baldine Saint Girons.
XIII. Les beaux objets sont petits
, سبتمبر 13 2023